Appel à communications, numéro spécial
L’entrepreneuriat et l’innovation dans l’enseignement supérieur – défis et bonnes pratiques
Rédacteurs: Marcos Lima et Joëlle Forest
Si près d’un Français sur trois est au courant des opportunités entrepreneuriales, seulement 5% d’entre eux créent/se lancent dans un projet d’entrepreneuriat. (GEM, 2014). Ce rapport n’est pas beaucoup mieux ailleurs en Europe. Parmi les raisons invoquées pour expliquer cet écart figurent des menaces perçues telles que : les crises économiques, un environnement hostile, la peur de l’échec et le manque de vocation et de compétences entrepreneuriales (Fayolle, 2012). Plusieurs auteurs (Degeorge et Fayolle, 2011; Mueller, 2011) établissent une corrélation entre la qualité de la formation à l’entrepreneuriat et l’intention de créer une nouvelle entreprise parmi les jeunes adultes. La dynamique d’innovation et programmes de formation dédiés à l’innovation font face à des challenges similaires. .
Les questions relatives à l’efficience et à l’efficacité de ces programmes restent nombreuses (Rideout et Gray, 2013). Quel est le rôle de l’apprentissage par projet par rapport à l’enseignement purement théorique dans les programmes d’entrepreneuriat et d’innovation (Mojab et al., 2011) ? Quelles sont les limites de la conception statique des business plans dans un environnement entrepreneurial de plus en plus dynamique (Tounés, Lassas-Clerc et Fayolle, 2014) ? Quel est l’impact réel des programmes d’enseignement existants sur l’esprit d’entreprise et l’esprit d’innovation (Villette, 2011) ? L’entrepreneuriat et l’innovation peuvent-ils vraiment être enseignés ou s’agit-il en grande partie d’une capacité innée (Lautenschläger et Haase, 2011) ? Quelles méthodes pédagogiques peuvent aider à développer l’intention entrepreneuriale (Fayolle et Verzat, 2009) et d’innovation ?
Par ailleurs, il semble exister une confusion ambiante entre entrepreneuriat et innovation. Cette dernière est particulièrement perceptible dans la façon dont a été pensée la mise en place du suivi obligatoire d’un cours dédié à l’innovation et à l’entrepreneuriat dans toutes les formations de l’enseignement supérieur (MESR, 2012). Quelles sont donc les spécificités de ces deux domaines de l’enseignement supérieur?
Malgré ces controverses, il semble exister un consensus autour des trois objectifs de l’éducation à l’entrepreneuriat et à l’innovation: a) sensibiliser les étudiants ; b) développer les compétences et c) soutenir les étudiants souhaitant développer un esprit d’entreprise innovant (Albertini et al., 2019; Fayolle, 2012).
Cependant, ces initiatives sont souvent confinées au sein de l’université, fragmentées et mal connectées à l’écosystème de l’innovation (Raucent et al., 2010). La résistance à l’innovation et au changement peut provenir à la fois des enseignants et des étudiants. Les vieilles habitudes, l’inertie, la peur de l’inconnu, les barrières financières et le manque de temps pour restructurer les programmes sont souvent cités comme des freins à l’innovation pédagogique par les parties prenantes (Fayolle, 2012).
Parmi les autres facteurs cités dans la littérature qui pourraient influer le développement de l’intention entrepreneuriale, citons : le moment choisi (les étudiants qui se rapprochent le plus de l’obtention du diplôme semblent être plus soucieux d’obtenir un emploi stable que de créer leur propre activité); le niveau initial d’intention entrepreneuriale avant de s’engager dans un programme d’enseignement supérieur et de se rendre dans un lieu (la proximité de clusters d’innovation peut favoriser les attitudes entrepreneuriales).
L’objectif de ce numéro est d’élargir le débat sur l’enseignement de l’entrepreneuriat dans l’enseignement supérieur, ses limites, ses opportunités, ses défis et ses meilleures pratiques. Les contributions peuvent inclure, sans toutefois s’y limiter, les sujets suivants :
- Sensibilisation aux opportunités entrepreneuriales : les programmes d’entrepreneuriat ont mis en place des compétitions et des défis pour favoriser l’esprit d’entreprise et pour « révéler » des vocations insoupçonnées. Divers programmes sont axés sur la validation des compétences, les associations de jeunes entreprises et l’invitation de conférenciers comme source d’inspiration (Chené et al., 2011). Quel est l’impact de ces initiatives sur la sensibilisation entrepreneuriale ?
- Enseignements à l’entrepreneuriat et à l’innovation : s’il existe des recouvrements entre ces domaines, il n’y a pas d’inclusion. . Noailles-Simeon (2013) et Christensen et al. (2013) soulignent que l’innovateur doit être distingué de l’entrepreneur car la nature de l’innovation est intrinsèquement différente de l’ acte entrepreneurial. Cependant, de nombreux programmes d’éducation utilisent les deux termes simultanément. Quels sont les risques d’une telle confusion ? Quels sont les défis à relever pour redéfinir le périmètre d’une formation à l’entrepreneuriat et à l’innovation ?
- Développer les aptitudes et les compétences : les programmes d’entrepreneuriat et d’innovation ont expérimenté une pédagogie basée sur l’action, des disciplines hybrides combinant approches à la fois théoriques et pratiques, conférant aux apprenants des expériences de première main, un apprentissage collaboratif et réflexif grâce à un enseignement actif à travers des scénarios réels basés sur des études de cas. Des programmes dédiés ont essayé d’adapter le contenu aux besoins des étudiants, en établissant des indicateurs de réussite fondés sur des objectifs d’apprentissage clairement définis. D’autres méthodes (Aouni, 2011) préconisent les approches d’effectuation (détermination des effets possibles en fonction des moyens disponibles) plutôt que des méthodes prédictives (business plans statiques et planification à long terme). Quelles sont les limites et les possibilités de ces différentes approches ?
- Soutenir les programmes d’entrepreunariat et d’innovation : les établissements d’enseignement supérieur créent de plus en plus des programmes dédiés au développement de jeunes entreprises, telles que des incubateurs, des accélérateurs, des fab-labs et des espaces de co-working. Les programmes à l’échelle nationale ou régionale sont encouragés par les gouvernements locaux ou supranationaux dans l’espoir de faciliter l’activité entrepreneuriale et d’innovation. Les programmes d’investissement en capital-risque, ainsi que les plateformes de financement participatif, facilitent plus que jamais l’obtention de ressources financières à un stade précoce (Loué et al., 2008). Quelle est l’efficacité de ces dispositifs dans la promotion de l’activité entrepreneuriale et d’innovation ?
- Éthique de l’entrepreunariat et responsabilité sociale : dans un monde où abondent les scandales liés à la collecte de données et à la vie privée, dans lequel inégalités et pauvreté subsistent, et dans lequel la corruption est parfois tolérée, comment sensibiliser à l’esprit éthique et le développement durable dans les programmes d’entrepreunariat et d’innovation ? (Fayolle et Toutain, 2013)
- Facilitateurs stratégiques de l’enseignement de l’entrepreneuriat : la littérature (Albertini et al., 2019) suggère des pratiques telles que la co-construction de programmes en impliquant la communauté des parties prenantes, en établissant des programmes de formation de formateurs, en identifiant les vocations des élèves pour gérer leurs attentes et leurs craintes concernant l’échec et les risques. Quel est l’état de développement de ces pratiques sur le continent européen et au-delà ?
- Interaction avec les écosystèmes d’innovation : les programmes d’entrepreneuriat devraient être étroitement liés aux centres de recherche, aux entreprises, aux investisseurs et aux laboratoires vivants. Quels sont les moyens disponibles pour créer ces réseaux et d’établir des flux de connaissances entre les parties prenantes de l’écosystème de l’innovation entourant les établissements d’enseignement supérieur (Laperche et al., 2019) ?
Cet appel à communications est ouvert à toute contribution (en anglais ou en français) sur (mais pas exclusivement sur) les sujets susmentionnés. Le nombre de mots doit être inférieur à 8 000. Les articles seront sélectionnés en fonction de leur qualité et de leur originalité, ainsi que leur pertinence pour les universitaires et les praticiens.
Références bibliographiques
Albertini, T., Fabiani, T., Lameta, N., & Lima, M. (2019). A framework for evaluating the effectiveness of entrepreneurial teaching in higher education. Marché et organisations, (1), 159-186.
Aouni, Z. (2011), “Démystification d’une pédagogie émergente : l’approche par les compétences“, Entreprendre & Innover, vol 3, n° 11-12, p. 120-126
Chené, E., Schieb-Bienfait, N., Lavergne, A., Tregret-Bouche, I. (2011), “Une démarche de conception d’un dispositif de sensibilisation à l’entrepreneuriat”, Annales des Mines – Gérer et comprendre, n° 103, p. 60-70.
Christensen, C., Dyer, J., Gregersen, H. (2013). Le gène de l’innovateur : Cinq compétences qui font la différence, Pearson France, Montreuil sous Bois.
Degeorge, J. M., Fayolle, A. (2011), “Les étudiants français ont-ils la fibre entrepreneuriale ?”, Entreprendre et Innover, vol. 1, n° 9-10, p. 21-28.
Fayolle, A. (2012), Entrepreneuriat, Apprendre à Entreprendre, 2ème Ed. Dunod, Paris.
Fayolle, A., Gailly B. (2009), “Évaluation d’une formation en entrepreneuriat : prédisposition et impact sur l’intention d’entreprendre”, M@n@gement, vol. 12, n° 3, p. 176-203.
Fayolle, A., Toutain, O. (2013), “Four Educational Principles to Rethink Ethically Entrepreneurship Education”, Revista de Economia Mundial, n°35, p. 21-45.
Fayolle, A., Verzat C. (2009), “Pédagogies actives et entrepreneuriat : Quelle place dans nos enseignements ?”, Revue de l’entrepreneuriat, vol. 8, n° 2, p. 1-16.
GEM (2014). Global Entrepreneurship Monitor survey. Available at http://www.gemconsortium.org/report
Laperche, B., Lima, M., Seulliet, E., Trousse, B. (2019) Les Écosystèmes D’innovation : Regards croisés des acteurs clés. L’Harmattan.
Lautenschläger, A.., Haase H. (2011), “The myth of entrepreneurship education: seven arguments against teaching business creation at universities”, Journal of Entrepreneurship Education, vol.14, p.147-161.
Loué, C., Laviolette E.M., Bonnafous-Boucher M. (2008), “L’entrepreneur à l’épreuve de ses compétences : Eléments de construction d’un référentiel en situation d’incubation”, Revue de l’Entrepreneuriat, vol. 7, p.63-83
MESR (2012). 15 mesures pour augmenter l’impact économique de la recherche, 2 novembre 2012.
Mojab, F. Zaefarian, R., Dazian Azizi, A.H. (2011), “Applying competency based approach for entrepreneurship education”, Procedia Social and Behavioral Sciences, n° 12, p. 436-447.
Mueller S. (2011), “Increasing entrepreneurial intention: effective entrepreneurship course characteristics”, International Journal of Entrepreneurship and Small Business, Vol.13, No.1, p.55-74
Noailles-Siméon, P. (2013). “De l’entrepreneur à l’innovateur dans une économie dynamique”, in Boutiller S., Djellal F., Uzunidis D. (eds), L’innovation : Analyser, anticiper, agir, Peter Lang éditions, p. 85-110.
Raucent, B., Verzat, C., Villeneuve, L. (2010) Accompagner les étudiants, Bruxelles : De Boeck, Chapitre 19, L’accompagnement dans les institutions d’enseignement supérieur, p. 501-540.
Rideout, E. C., Gray, D.O. (2013), “Does entrepreneurship education really work? A review and methodological critique of the empirical literature on the effects of university‐based entrepreneurship education”, Journal of Small Business Management, vol. 51, n°3, p.329-351.
Tounés A., Lassas-Clerc N., Fayolle A. (2015), “Effets comparés de deux pédagogies de plans d’affaires sur l’apprentissage entrepreneurial des étudiants, Une approche par les compétences”, La Revue des Sciences de Gestion, n° 275-276, p.13-21.
Villette, M., (2011), “Comment répondre à la demande institutionnelle d’enseignement de l’entrepreneuriat ? Compte rendu ethnographique d’une expérience d’enseignement”, Revue Française de Socio-Économie, vol.1 n° 7, p. 83-101.
Calendrier
– 30/06/2020 – date limite de soumission des résumés
– 31/08/2020 – réactions des évaluateurs
– 30/11/2020 – date limite pour la soumission du projet final
– 31/12/2020 – acceptation finale
– printemps 2021 – publication
Les textes doivent être obligatoirement être soumis à
Marcos Lima (marcos.lima@skema.edu) ou Joëlle Forest (joelle.forest@insa-lyon.fr)
Plus d’informations sur notre site:
https://www.cairn.info/revue-marche-et-organisations.htm