Numéro Spécial RIPCO Arts et Organisations
Arts et organisations: des individus aux structures, la dimension esthétique inséparable du politique
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Source – http://ripco-online.com/FR/CFPS/CFP_66.asp
Plus de trois décades après le premier numéro spécial d’une revue internationale consacré aux relations entre art et organisations (Benghozi, 1987) et presque vingt ans après le seul numéro de la RIPCO consacré aux arts, ce numéro spécial Arts et Organisations : des individus aux structures, la dimension esthétique inséparable de la dimension politique s’intéressera au rôle de l’art dans les organisations et en particulier à sa contribution éventuelle à une meilleure articulation entre les aspects personnels, interpersonnels et structurels de la vie organisationnelle. Nous chercherons à explorer en quoi, comment et pourquoi l’art et ses pratiques pourraient influer les comportements, les perceptions, les représentations et la recherche organisationnels. Alors que se généralisent les appels aux affects, à la création, à l’innovation, à l’imagination, à l’intuition, au jeu et à l’improvisation, qui seraient nécessaires pour gérer les organisations contemporaines dans un monde de plus en plus complexe et imprévisible, il s’agit de procéder à une synthèse des tendances du champ, qui soit accessible aux chercheurs francophones et qui resitue la recherche française sur ces sujets dans la perspective internationale. L’objectif, dans la ligne éditoriale de la revue, sera de penser le lien entre l’humain et les structures, du micro individuel au méso et au macro, c’est-à-dire penser le lien entre l’expérience subjective et concrète des membres et l’abstraction des concepts et des politiques organisationnels.
Introduction
Nous ne chercherons pas à définir les objets spécifiques de l’art, ou les relations inter-médiées qui relient les auteurs et les publics. Mais nous chercherons à explorer en quoi, comment et pourquoi l’art et ses pratiques pourraient influer les comportements, les perceptions, les représentations et la recherche organisationnels.
La créativité possède un statut quasi mythique, salvateur, pour nos organisations contemporaines. Il y aurait « urgence à maîtriser la créativité (et l’innovation), l’ouverture et l’hétérogénéité en tant que conditions organisationnelles de la création collective » (Hjorth al., 2018). L’art permettant le partage dans le dissensus, ouvre sur d’autres modes d’organisations alternatifs et critiques (Bureau et Zander, 2014 ; Eliasson, 2016 ; Vickery, 2007). La conviction se répand que la création de valeur produite par les organisations ne dépend plus simplement de fonctionnements et de processus rationnels et linéaires, mais est de plus en plus liée à l’expérience vécue des membres, à leurs émotions et à l’énergie qu’ils mettent dans leurs activités et dans le développement de nouvelles idées, ce que l’art est susceptible de favoriser (Carlucci et Schiuma, 2018a). Les interventions artistiques dans les organisations se multiplient en vue d’y améliorer le bien-être et d’apporter du sens au travail (Berthoin Antal, 2011 ; Berthoin Antal, Debucquet et Frémeaux, 2018). Les interventions basées sur la danse par exemple favoriseraient l’acquisition et le renforcement de compétences d’innovation (Bozic Yams, 2018). La musique permettrait de favoriser l’introduction de la pensée créative au sein d’organisations traditionnellement orientées par la pensée rationnelle analytique (Ipolito et Adler, 2018), et favoriserait la collaboration et la communication collective (Sorsa et al., 2018). L’art susciterait la capitalisation des valeurs sociales, économiques et environnementales dans une perspective de durabilité (Azmat et al., 2018). Ce phénomène, qui s’accompagne de la montée en puissance des pratiques du « design thinking » et de leur théorisation (Alexandersson et Kalonaityte, 2018 ; Liedtka, 2017), est en partie liée à l’émergence d’une culture de l’entrepreneuriatet à la domination du régime du nouveau, notions que relient le concept de jeu (play) (numéro spécial Organizational Creativity, Play and Entrepreneurship. Organization Studies, 2018, Vol.39(2-3)). On assiste à une intégration croissante de l’art dans les organisations publiques et privées, fondée sur la prise de conscience que l’absorption de l’art par les mécanismes productifs permet d’améliorer la performance (Carlucci et Schiuma, 2018b). Améliorer ou augmenter ? Assisterait-on à un réductionnisme instrumental de la notion d’art au profit de celle de créativité dans une perspective entrepreneuriale ? Quelle place alors à la responsabilité durable, à l’éthique, à des formes d’humanisme moins anthropocentrées ?
Les recherches récentes se focalisent sur le potentiel de reconfiguration des situations, les espaces de liberté à ouvrir et à investir pour que le sens se déploie dans les organisations et le concept de devenir (Strati, 2007, 2014). Les organisations sont analysées comme des états « liquides » plutôt que des structures stables et résilientes et la théorie s’appuie sur une esthétique du flux, du processuel, de la transformation et de l’immanence. Les concepts de jeu et de créativité sont convoqués pour tenter de comprendre comment diriger les organisations prises dans la permanence du flux, quand mouvement, vitesse, flexibilité et émergence échappent aux hiérarchies et au contrôle (Hjorth et al., 2018). L’art et l’imagination sont perçus comme le moyen d’anticiper le devenir, d’explorer l’espace en train de se construire. Dans le réel, les entreprises restent cependant contrôlées par les structures et les logiques rationnelles et instrumentales (Munro, 2018). Que l’introduction de l’art aident les personnels à questionner leurs manières habituelles de penser ne se confirme pas toujours (Meisiek et Barry, 2018). Les mondes du business et de l’art restent en tension et l’idées que ces tensions soient bénéfiques ne se vérifie pas nécessairement ; on assiste plutôt à une appropriation de la valeur inspirationnelle par un discours de valeur économique (Strauss, 2018)
Comment comprendre et intégrer les deux aspects, liberté d’exploration et contrôle des logiques rationnelles ? Quelles frontières séparent ou relient ces notions clés, dans ce que certains désignent comme l’économie créative à venir ? Qu’en est-il des concepts qui les fondent, de leurs effets et comment les théoriser de manière critique ? Ce numéro spécial vise à questionner la place de la création, de l’art et de l’esthétique dans l’articulation entre l’humain et les structures, du micro individuel au méso et au macro. Il s’agit de repenser le lien entre l’expérience subjective concrète des membres et l’abstraction objectivante des organisations. La perspective esthétique est indiquée, puisqu’elle inclut le rôle des affects dans la perception des membres, leur expression plus ou moins permise et libre et la fonction des artefacts sur lesquels s’appuient les fonctionnements organisationnels. Elle est également inévitablement liée au politique. Si initialement le domaine de l’esthétique organisationnelle accorde une place importante aux catégories traditionnelles de la perception et du jugement sensible (catégories du beau, du laid, du sublime, de la grâce, du comique, du pittoresque, du tragique) l’évolution récente opère un déplacement qui rapproche l’esthétique du politique en tant que travail sur les représentations sociales partagées (Negash, 2004), ou plus directement en tant que médiation des relations sociales par les artefacts organisationnels (Strati, 2014). Cette évolution consiste à prendre en compte la nécessaire mise en forme esthétique de tout discours (Steyaert et Hjorth, 2002), qui peut aller jusqu’à égaler esthétique et politique : Rancière (2000) définit l’aisthesis comme la capacité de mise en ordre du monde par le logos, une capacité éminemment politique.
Enfin, ce numéro spécial abordera aussi la question de la recherche sur les organisations et le rôle que l’art peut jouer en tant que méthode d’enquête ou de diffusion des résultats. La recherche basée sur l’art (art-based research) possède ses lettres de noblesse, ses manuels qui décrivent comment considérer l’art en tant que manière alternative de créer le sens (Barone et Eisner, 2012 ; Knowles et Cole, 2008), ses expérimentateurs et ses apports, par exemple en terme de connaissance sensible (Strati, 2007) et révélation de la dimension affective inhérente au quotidien organisationnel (Schmidt et al, 2015). Pratiquer une recherche en gestion basée sur l’art soulève des problèmes spécifiques, tels que la posture de l’observateur participant lorsque le chercheur est lui-même un connaisseur du champ artistique (Faulkner et al., 2008), la difficulté de choisir entre des représentations concurrentes (Schmidt et al., 2015) ou encore la posture épistémologique sur laquelle elle repose (Mairesse, 2019). Enfin, pour avoir un impact en dehors du monde académique, nos théories ne devraient-elles pas être présentées avec des éléments de pathos (Frost, 1999 ; Gagliardi, 1996) et être ainsi capables de susciter des émotions (Weick, 2010), ces émotions qui font partie du processus de construction de sens du chercheur (Perez, 2017) ? Incarner la théorie par des mises en formes performatives et esthétiques pourrait ouvrir au chercheur des perspectives inédites en matière d’impact et de transformations des pratiques (Reinhold, 2017) et de participation au processus d’innovation en management (David, 2013). En somme, l’art – et en particulier l’art d’écrire (Moriceau, 2018) – ne pourrait-il pas nous aider à communiquer les résultats de la recherche en gestion ?
Quelles postures épistémologiques et quelles approches méthodologiques seront acceptées dans le numéro spécial ?
La posture centrale de ce numéro spécial est la posture esthétique, au sens non de l’étude des œuvres d’art mais au sens de l’étude de la dimension symbolique dans les organisations et leur activités ordinaires. Cette nouvelle épistémologie de la recherche (Mairesse, 2019) est issue des approches pragmatistes, phénoménologiques, interactionnistes et constructivistes, dont sont issues les études sur l’esthétique organisationnelle, mais nous nous attendons également à une mise en parallèle avec d’autres perspectives. Par exemple, les théories de la performativité s’appuient entre autres sur l’art pour ouvrir sur une « performativité critique » (Huault et al., 2017) et sur une phénoménologie des corps performants (Küpers, 2017). Au sein des approches cognitivistes, l’esthétique des organisations propose de déployer une cognition inscrite dans les corps (Springborg et Ladkin, 2018), un cognitivisme en somme « sensible » distinct du cognitivisme traduisant l’implicite en explicite, comme du cognitivisme « situé » dans le cerveau des membres (Strati, 2007). Enfin, au sein du courant néo-institutionnaliste, la ré-introduction de la théorie de l’action créative (Joas, 1996) permettrait de combattre le biais cognitivo-rationnel dominant (Weik, 2012).
Comment les complémentarités de ces approches, au-delà de leurs différences, permettent-elles de comprendre les relations entre les dimensions esthétiques, stratégiques et politiques de la vie organisationnelle ? Nous attendons des articles théoriques, qui explorent les questions épistémologique, philosophique ou ontologiques liées, mais aussi des articles empiriques reposant sur l’étude de situations d’interaction entre art et organisations, au moyen d’enquêtes ethnographiques, auto-ethnographiques, participantes, qualitatives et critiques.
Quelle est la pertinence du numéro spécial pour les décideurs ?
Les décideurs sont pris dans les injonctions de création, d’innovation, de participation, de responsabilité sociale et d’efficacité et de résultats. L’appels aux arts pour renouveler les organisations publiques et privées, pour redessiner les politiques publiques, pour mettre à contribution la créativité de tous, sont des discours qui sont difficiles à mettre en actes. Avec notre souci de rendre les résultats de la recherche accessibles, de les balayer d’un regard synthétique mais non réducteur, nous leur donnons l’occasion de prendre du recul et s’appuyer sur des exemples.
Calendrier de soumission provisoire et délais
- Publication de l’appel à contributions : octobre 2019
- Soumission des manuscrits : 29 février 2020
- Avis aux auteurs : 15 avril 2020
- Soumission des manuscrits révisés : 15 juin 2020
- Relectures supplémentaires et acceptation définitive : 15 juillet 2020
- Soumission de la version finale du numéro spécial à envoyer à la RIPCO : 30 août 2020
Le manuscrit est à soumettre en ligne sur le site de la revue : www.manuscriptmanager.net/ripco. Lors de la soumission en ligne, ne pas oublier de préciser que le manuscrit est destiné au numéro spécial « Special issue – Arts et organisations (Arts and Organizations) » dans le menu déroulant « Si le manuscrit est destiné à un numéro spécial, choisissez dans la liste » de la page « Details ».
Références
Alexandersson, A., & Kalonaityte, V. (2018). Playing to Dissent: The Aesthetics and Politics of Playful Office Design. Organization Studies, 39(2–3), 297–317. doi: 10.1177/0170840617717545
Azmat, F., Ferdous, A., Rentschler, R., & Winston, E. (2018). Arts-based initiatives in museums: Creating value for sustainable development. Journal of Business Research, 85(C), 386–395. doi: 10.1016/j.jbusres.2017.10.016
Barone, T. & Eisner, W. (2012). Art-Based Research. London: Sage.
Benghozi, P.-J. (1987). Dragon Art et Organizations. Dragon the Journal of SCOS, 2(3), 5-9.
Berthoin Antal, A. (2011). Managing Artistic Interventions in Organisations : a Comparative Study of Programme in Europe. Gothenburg: TILLT Europe.
Berthoin Antal, A., Debucquet, G., et Frémeaux, S. (2018). Meaningful work and artistic interventions in organizations: Conceptual development and empirical exploration. Journal of Business Research, 85(C), 375–385. doi: 10.1016/j.jbusres.2017.10.015
Bozic Yams, N. (2018). The impact of contemporary dance methods on innovative competence development. Journal of Business Research, 85(C), 494–503. doi: 10.1016/j.jbusres.2017.10.028
Bureau, S., & Zander, I. (2014). Entrepreneurship as an art of subversion. Scandinavian Journal of Management, 30(1), 124–133. doi: 10.1016/j.scaman.2013.12.002
Carlucci, D., & Schiuma, G. (2018a). An introduction to the special issue “The arts as sources of value creation for business: Theory, research, and practice.” Journal of Business Research, 85(C), 337–341. doi: 10.1016/j.jbusres.2017.10.034
Carlucci, D., & Schiuma, G. (2018b). The power of the arts in business. Journal of Business Research, 85(C), 342–347. doi: 10.1016/j.jbusres.2017.10.012
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Weik, E. (2012). Introducing “the creativity of action” into institutionalist theory. M@n@gement, 15(5), 563–581.
Coordinateurs
- Philippe Mairesse, Audencia Business School – ICN Business School. pmairesse(at)audencia.com
- Géraldine Schmidt, IAE Paris Panthéon Sorbonne
- Yoann Bazin, EM Normandie
Source – http://ripco-online.com/FR/CFPS/CFP_66.asp