Recherche Doctorant – Thèse Réseaux, Scènes Culturelles et Scènes technologiques : mesure des effets de débordement sur les territoires d’Austin, Montréal et Nantes (RESET)

Réseaux, Scènes Culturelles et Scènes technologiques : mesure des effets de débordement sur les territoires d’Austin, Montréal et Nantes (RESET)

Directeurs de la thèse Dominique Sagot-Duvouroux (GRANEM – Université d’Angers), Raphaël Suire (LEMNA – Université de Nantes),

Contacts : dominique.sagot-duvauroux @ univ-angers.fr Raphael.suire @ univ-nantes.fr

Durée du contrat

oct-2018 – oct-2021

Envoyer aux contacts ci-dessus un CV et une lettre de motivation montrant notamment comment vous vous appropriez le sujet avant le 30 juin 2018.

La question des émergences reste une préoccupation importante des acteurs publics en particulier lorsqu’il s’agit de soutenir des démarches d’innovation collectives sur les territoires. Depuis le début des années 2000 et les objectifs ambitieux du sommet de lisbonne, les questions du développement des capacités à produire des connaissances nouvelles (recherche académique notamment), du maillage de ces connaissances (soutien à la mise en réseau et cluster) et de leur valorisation est désormais sur tous les agendas des décideur locaux. Sous l’impulsion, de travaux académiques visant à mettre en avant une ou même des classes créatives comme la ressource nécessaire pour tous (Florida, 2002), les profils de développement se sont peu à peu homogénéisés rendant des stratégies de spécialisation intelligentes plus que souhaitables aujourd’hui (Foray, 2017) alors même qu’au niveau des quartiers, la gentrification massive des territoires produit de plus en plus d’inégalités (Florida, 2017).

Dans ce contexte, il s’agit de repenser un double mouvement, celui de la façon dont les territoires innovants ou créatifs peuvent se différencier durablement notamment par la mise en valeur de ressources spécifiques (cela peut passer par leur mise en réseau (Boschma et al, 2017) et il s’agit également de mieux qualifier des dynamiques urbaines et socio-économiques qui favorisent l’émergence de ces nouveautés (Loreto et al, 2017). Il s’agit notamment de comprendre comment les réseaux formels et informels qui se tissent entre les parties prenantes d’un éco-système se nourrissent de l’environnement urbain dans lequel ils sont encastrés (Granovetter, 1985 ; Currid, 2005).

Historiquement, la politique de soutien fort aux clusters, une modalité dominante d’aménagement et de soutien à l’innovation s’est traduite par deux grands principes. Le premier consiste à densifier les réseaux entre les parties prenantes (pôle de compétitivité par exemple). Une politique souvent naïve qui peut conduire à des résultats paradoxaux en particulier lorsque l’on renforce des acteurs installés, à forte taille mais aussi parfois plus frileux dans leur stratégie d’innovation. Et de l’autre, une attractivité tout azimut d’une classe créative, censée donner aux territoires les actifs et les talents dont il a besoin pour se différencier. Les résultats sont mitigés car d’une part la densification des réseaux, per se , ne permet de faire les meilleures connexions, de celles qui produisent les complémentarités à plus forte valeur ajoutée. D’autre part, l’attractivité de la classe créative, fondée sur un mode de vie bohème et la culture ou encore la tolérance a conduit à uniformiser les villes rendant difficile des stratégies de différenciation durable. Le projet présenté propose d’avancer et de dépasser ces limites en interrogeant les fondements joints sociaux, spatiaux et cognitifs de l’émergence des dynamiques collectives et innovantes. En particulier la notion de scène artistique et technologique nous semble particulièrement fructueuse pour définir une nouvelle grille d’analyse afin de suivre les processus complexes, les interactions sociales, marchandes et non marchandes qui sont à l’oeuvre dans les démarches de création et d’entrepreneuriat. Des enquêtes de terrain permettant de faire révéler aux parties prenantes, la façon dont ils consomment des ressources (sociales, spatiales ou cognitives) permettra de mieux comprendre la façon dont ces réseaux se nourrissent de leur encastrement urbain et/ou comment l’urbain et les atmosphères urbaines viennent nourrir les réseaux (ex de la scène techcity londres co-existante de la scène indie musicale par ex). Les

artistes et les entreprises culturelles d’un côté, les start-ups de l’économie numérique de l’autre, sont au coeur des stratégies d’innovation des territoires. Ces deux ensembles sont d’ailleurs souvent regroupés sous la dénomination unique mais floue d’entreprises créatives mais qui ont en commun de manipuler majoritairement des connaissances symboliques (concepts, idées, …) (Spencer, 2015) et d’explorer des univers ou des trajectoires nouvelles (prototypage, expérimentation, bricolage). Mais les acteurs de ces univers se trouvent également très souvent à partager le même territoire et notamment sur des phases émergentes des pratiques. Autrement dit, là où sont observées des scènes culturelles à audience croissante, se co-localisent des entrepreneurs, une classe créative, qui oeuvrent dans l’univers large du digital (Williams, 2016 ; Florida et al, 2010). On penserait sans aucun doute à San-Francisco, Seattle, New York, Bristol, Londres, Berlin, mais c’est aussi vrai à Nantes, Montréal et Austin. Nous savons peu de choses sur les réelles interactions entre la scène numérique et la scène artistique et sur ce que produit sur un territoire cette co-présence. Plusieurs hypothèses peuvent être formulées sur les origines, les formes et les résultats de ces interactions:

1 ) Les acteurs de ces deux scènes se rapprocherait d’abord par leur façon de travailler : travail par projet au sein de petites équipes, importance des réseaux, multiplicité des espaces de travail entre des lieux dédiés (bureaux classiques, espaces de co-working, tiers-lieux) et non dédiés (cafés, espace public….). Ils se rapprochaient aussi par leurs modes de vie : goûts pour la vie nocturne, la musique, frontière floue entre travail et loisir, volonté d’agir sur leur quartier (Williams, 2016). Cette double proximité aboutirait à ce que ces travailleurs travaillent et/ou vivent dans les mêmes quartiers fréquentent les mêmes lieux de loisirs, démultipliant les opportunités d’activer des liens faibles, sources d’innovation (Granovetter, 1985) et favorisant l’apparition d’ambiances spécifiques dans ces lieux où ils se retrouvent où dont ils sont à l’origine. D’une certaine manière, il convient ici de mieux qualifier ce que sont les porosités sociales, spatiales et cognitives et les effets de débordement.

2) Les travaux les plus récents d’économie géographique évolutionniste avance l’hypothèse qu’une source durable de différenciation réside dans la capacité des territoires à mailler des univers disjoints (unrelated variety). L’origine de ces pratiques (technologiques, compétences, culturelles) peut-être exogène ou endogène. Il s’agit de comprendre sur les territoires d’étude comment se forment les innovations produites dans des filières comme les (nouveaux) médias, le graphisme, le digital, etc et de révéler la géographie des ressources, compétences et/ou des technologies qui sont mobilisées (hyper local à global).

3) On peut enfin supposer un séquençage dans le cycle de vie de ces scènes. L’existence préalable d’activités artistiques susciterait l’attractivité des entreprises et des travailleurs du numérique dont l’arrivée offrirait à son tour des opportunités d’innovation aux acteurs des filières artistiques. Autrement dit, la résilience de ces scènes doit aussi s’envisager comme une capacité des scènes technologiques et culturelles à s’auto-entretenir l’une l’autre par circulations croisées des compétences (Crespo et al, 2014).

Au final, la thèse permet de renouveler et mieux fonder les stratégies et les politiques publiques qui soutiennent le fonctionnement des éco-systèmes innovants. L’accent étant mis sur les dynamiques (instables) de l’émergence plutôt que sur les stratégies de densification relationnelle et les préconisations dépassent le simple cadre marchand en mettant en avant les relations non marchandes, spécifiques aux territoires.

La thèse privilégierait a priori quatre terrains Nantes, Grenoble, Montreal et Austin. Nantes est une ville qui est identifiée aujourd’hui à la fois comme une scène artistique dynamique soutenue depuis le début des années quatre-vingt dix par une politique volontariste de la ville et une scène numérique de plus en plus visible, bénéficiant du label French Tech. De nombreuses interactions existent entre ces deux scènes, qui se développent soient de façon spontanée dans des quartiers spécifiques comme les Olivettes, soit par l’intermédiaire de lieux identifiés comme Stereolux ou la Cantine Numérique ou des dispositifs institutionnels comme le Quartier de la Création. Nantes apparait au niveau national comme un territoire d’expérimentation d’innovations à la croisée du numérique et de la création artistique.

Austin est aujourd’hui la principale scène de musique live aux Etats Unis. La ville développe par ailleurs depuis quelques années une ambitieuse stratégie dans le domaine des technologies numériques. Le lien entre les deux scènes est rendu particulièrement visible par le SXSW Festival qui célèbre les interactions multiples entre les filières musiques et cinémas, très vivantes sur la ville et les technologies interactives. Les partenariats noués avec Eric Drott et Charles Carson, de la Butler School of Music de l’Université du Texas à Austin à l’occasion d’une learning expedition organisée à l’automne 2017 par le RFI OIC, garantissent la faisabilité de ce terrain.

Boschma R., Coenen L., Frenken K., Truffer B., 2017, “Towards a theory of regional diversification: combining insights from Evolutionary Economic Geography and Transition Studies”, Regional Studies, Pages 31-45

Crespo J., Suire R., Vicente J., 2014, “Lock-in or lock-out? How structural properties of knowledge networks affect regional resilience?”, Journal of Economic Geography, 14, p199-219.

Currid, 2005, The wharol Economy : How fashion, Art, and Music Drive New York City

Florida R., Mellander C., Stolarick K., 2010, Music Scenes to Music Clusters: The Economic Geography of Music in the US, 1970–2000″, Environment and Planning A

Florida R., , 2002, The rise of Creative Class

Florida R., 2017, The New Urban Crisis: How Our Cities Are Increasing Inequality, Deepening Segregation, and Failing the Middle Classland What We Can Do About It Foray D., 2015, Smart Specialisation: Opportunities and Challenges for Regional Innovation Policy, Routledge Granovetter, Mark. 1985. “Economic Action and Social Structure: The Problem of Embeddedness”. American Journal of Sociology, p481-510

Loreto V., Vito S., Strogratz S., Tria F., 2017, “Dynamics on expanding spaces: modeling the emergence of novelties”, arXiv:1701.00994v1

Spencer G., 2015, ” Knowledge Neighborhoods: Urban Form and Evolutionary Economic Geography”, Regional Studies, p883-898.